• 3.Actions et Projets,

Projet de recherche

(accréditation quadriennal 2011-2014)

Publié le 14 mai 2013 Mis à jour le 14 mai 2013

« Philosophies contemporaines. Vie, société, subjectivité ».


L’intitulé général du projet est : « Philosophies contemporaines. Vie, société, subjectivité ». Il recouvre 3 objectifs :

1) structurer les activités de recherche au sein de l’ERRAPHIS,

2) élaborer une offre de formation doctorale au sein de l’Ecole Doctorale ALLPH@ et dans le cadre du partenariat avec les Ecoles Doctorales de Philosophie de Louvain, de Bonn et de Padoue, et l’Ecole Doctorale Interdisciplinaire de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, pour une formation commune,

3) contribuer à la formation à la recherche par la recherche au niveau du master et particulièrement dans le cadre du master erasmus mundus II.

L’expression « philosophies contemporaines » s’entend en un double sens : 1) l’ensemble de la production philosophique de la fin du 19ème siècle à nos jours (avec une compétence particulière sur la pensée européenne, et notamment allemande et française), 2) la production théorique et critique de la philosophie dans la mesure où elle concerne les questions du monde contemporain. Les trois notions « Vie, société, subjectivité » précisent les orientations thématique de la recherche en continuité avec les recherches conduites dans les précédents quadriennaux (« Vie ») et les axes forts sur lesquels se sont déployées les activités du programme PhiloSubSoc (« Société, Subjectivité »).

Ce renforcement de l’identité de l’ERRAPHIS comme unité de recherche sur les philosophies contemporaines implique par ailleurs une attention renouvelée à l’histoire de la philosophie. Autour des trois notions indiquées, il apparaît que les philosophies contemporaines ne peuvent se développer – et ne sont d’ailleurs intelligible et lisibles – que dans un rapport à l’ensemble de la tradition philosophique comprise dans le tout de son histoire, qu’elles se donnent comme déconstructions (Heidegger, Derrida) ou archéologies. Répéter la tradition dans une futurition, c’est remonter en amont de cette tradition pour repérer ses équivoques et son indécidabilité. S’il s’agit de la philosophie moderne (Kant, Fichte, Schelling, Hegel), il s’agit aussi de la pensée médiévale comme en témoignent les références contemporaines qui redécouvrent cette tradition (voir sur ce point l’archéologie du sujet entreprise pas de Libéra en un rapport croisé à Heidegger, Foucault et la philosophie analytique). Ce qui fait également question est le sens de la référence aux Grecs, qui n’a rien à voir avec un retour nostalgique. Il est significatif que tous les philosophes contemporains majeurs (Heidegger, Arendt, Derrida, Foucault, Deleuze, Castoriadis, Maldiney – auxquels on peut en l’occurrence associer Lacan en une sorte de devenir philosophe) remontent à un moment ou à un autre vers les Grecs. Cela est d’ailleurs d’autant plus stimulant qu’il ne s’agit pas des mêmes Grecs, ni de la même Grèce). Cependant, dans tous les cas, il s’agit de se tourner vers les Grecs pour penser le sens du vivre dans son rapport à la société comme ce qui ouvre des possibilités d’individuation.

- Structuration de la recherche au sein de l’ERRAPHIS :

L’Unité déploiera ses activités de recherche selon 3 axes ; chaque axe sera placé sous la responsabilité (animation, recherche de financements, accueil des doctorants, politique de partenariats) d’un ou plusieurs chercheurs ERRAPHIS :

Axe n°1 : « Archéologies et déconstructions du sujet » (responsable : J. Casteigt)

Il s’agira d’élaborer une problématique trans-historique sur la métaphysique et son histoire, entendue comme prolongements de formes de pensées platoniciennes, dans ses différents moments, médio- et néo-platoniciens, ainsi que médiévaux, en particulier sous la forme de la métaphysique johannique, jusqu’à l’idéalisme allemand et la philosophie française contemporaine. 
- Si les philosophies contemporaines ne peuvent se développer que dans un rapport à l’ensemble de la tradition philosophique comprise dans le tout de son histoire, on se proposera d’étudier les figures de la subjectivité et leurs discussions dans la philosophie contemporaine à partir des sources antiques et médiévales avec lesquelles elle dialogue. Il conviendra de partir de la question du sujet (upokeiménon) et son devenir dans la pensée grecque, pour montrer comment la métaphysique articule, dès Platon, cette question avec celle du statut de l’être, de l’intellect et de l’un. 
- On fera ressortir la présence de la métaphysique antique et médiévale dans la pensée contemporaine, en interrogeant la question de la subjectivité dans ses formes contemporaines à travers la notion d’expérience intérieure selon Bataille, la critique d’une pensée du neutre chez Lévinas ou la question de l’intériorité chez Michel Henry. La question de la subjectivité sera envisagée, à partir de l’héritage spéculatif de l’Evangile de Jean, dans la tradition antique et médiévale jusqu’à l’idéalisme allemand. 
- Elle sera étudiée selon deux points de vue : comment, d’une part, est-il possible de concevoir les modalités du rapport de la subjectivité humaine à l’absolu : identité originelle, assimilation, union, distinction radicale de l’existence et de l’essence ? Comment, d’autre part, le discours sur les fondements métaphysiques de la subjectivité humaine s’articule-t-il avec l’histoire des hommes et ses conditions d’existence finie ? J. Casteigt organisera un séminaire sur le De origine rerum praedicamentalium de Dietrich von Freiberg, où la question de la subjectivité sera envisagée dans une perspective noétique : l’intellect constitue-t-il son objet ? Puis, seront déployées les conséquences ontologiques et métaphysiques concernant le statut de la subjectivité, impliqué par une telle fonction constitutive. Les travaux d’A de Libéra sur l’archéologie de la subjectivité seront également pris en considération.

Axe n°2 : « Subjectivation, construction imaginale et société » (responsables : J.-C. Goddard et G. Sibertin-Blanc) :

Le concept d’aliénation, qui a été un pivot du précédent programme, sera repris tant dans le cadre de l’archéologie de la subjectivité que de la pensée politique autour du thème société et subjectivation. Sur cet axe on se proposera de reconsidérer la pensée de l’histoire et de ce que peut être le sujet de l’histoire tant comme support des événements que comme procédure de formes variées de subjectivation. 
- Afin de théoriser le rapport de la philosophie à la conjoncture on entreprendra d’étudier tout particulièrement les modes de constructions subjectives conditionnés par les formes d’inscription discursive des conjonctures de luttes, de mobilisation ou d’insurrection ; – soit notamment un certain nombre de problèmes afférant aux constructions mémorielles des conflits sociaux : – problème des facteurs déterminant la capitalisation subjective de savoirs pratiques forgés ou expérimentés en période de conjoncture insurrectionnelle ; – problème de la transmission et de la sédimentation des discours de lutte ; – problème de l’incorporation subjective de répertoires imaginaires et symboliques liés à l’histoire des conflits sociaux des XIXe et XXe siècles ; – problème des conditions structurales et conjoncturelles du réinvestissement des traditions de lutte, donc aussi des effets variables de « répétition », de « blocage », d’« anachronisme », de « réification » des signifiants de luttes passées dans une conjoncture actuelle. 
- Le rapport étroit liant les processus de subjectivation à celui de la formation d’une image mnésique sera approfondi à partir de la dernière philosophie de Fichte qui aboutit la philosophie du sujet dans une doctrine de l’image. Le rapport fondamental de l’identité subjective à l’image, comme image de soi et acte imageant, sera approfondi à travers les écrits de conjoncture de Fichte, et notamment les Discours à la Nation allemande, où l’unité politique du peuple est définie par sa seule capacité imageante. Cette orientation sera renforcée par un approfondissement de la proposition deleuzienne (élaborée notamment à partir d’une réflexion sur le cinéma du Tiers-Monde, et en donnant toute sa force à l’idée bergsonienne d’une fonction fabulatrice de l’intelligence) de l’invention du peuple moderne par un acte fabulateur qui est lui-même mémoire. Dans cette perspective seront mobilisés les concepts de l’anthropologie psychologique de l’historien de l’art Aby Warburg et notamment ceux de Nachleben et de Pathosformel (pour éclairer tant la doctrine deleuzienne-bergsonienne de la mémoire que l’idée fichtéenne du Bild). Le concept freudien de symptôme (central du point de vue de la théorie du refoulement), dont Didi-Huberman a montré la proximité avec le concept warburgien d’image survivante, sera l’objet d’une attention toute particulière. L’importance de la psychanalyse dans les philosophies contemporaines devant être prise en considération tant en ce qui concerne le statut du sujet, de son rapport aux pulsions et la mort que celui de l’élucidation du social-historique (Foucault, Deleuze, Derrida, Castoriadis).

Axe n°3 : « Philosophie, vie et animalité » (responsables : P. Montebello et A. François) :

Cet axe prend son point de départ dans l’indécision entre la vie animale et l’existence, d’où procède un traitement inédit de la question de l’animalité chez Heidegger, Derrida, Deleuze. Il y a tout un bestiaire de la philosophie contemporaine depuis les fauves nietzschéens jusqu’aux tiques et poux deleuziens en passant par les lézards heideggériens et les chats derridéens. Or dans tous les cas c’est bien, dans une sorte de redéploiement de la question kantienne « qu’est-ce que l’homme ? », le statut de l’animal raisonnable qui fait question. En effet, que cette question soit déplacée chez Heidegger vers la question « qui est le Dasein ? », que chez Foucault la fin de la métaphysique soit comprise comme l’envers du phénomène de la mort de l’homme, dans tous les cas il y va aussi du statut du sujet, de ce sujet « qui fâche » dont parle Zizek (sur ce point voir aussi Castoriadis). Aussi ne faut-il pas trop vite enterrer le sujet et, comme le note Foucault, le grand mérite de Heidegger comme de Lacan est d’avoir posé le problème du lien entre le sujet et la vérité. 
- Quel est dès lors le statut de l’anthropologie philosophique aujourd’hui ? Des études nouvelles jettent une lumière nouvelle sur les rapports entre animalité et humanité (Picq, Bailly, Lestel, …), en même temps que la philosophie se saisit ou plutôt se ressaisit d’un problème qui n’a jamais cessé de l’accompagner, l’animalité étant l’envers du logos et de la ratio, l’inscription négative de l’émergence humaine. Heidegger, Hans Jonas, Simondon, Derrida, Deleuze… convoquent la biologie, l’éthologie, la psychologie animale afin de repenser cette démarcation. Figure sauvage et proche, familière et lointaine, l’animal hante le visage humain comme les masques animaux de l’art pariétal où nul visage humain n’est peint, car cette humanité primitive surgit paradoxalement dans son humanité en se parant de masques de bêtes. Notre projet vise non pas à animaliser l’homme, ni à humaniser les bêtes mais à saisir la relation féconde qui unit homme et animaux, relation sans laquelle aucune pensée de la nature n’est possible. « Nous ne dénigrons l’animalité qu’à travers l’homme de ces obscures cavernes, qui se dissimulait sous des maques de bêtes, que nous n’avons cessé de prolonger », disait Bataille ( Le passage de l’animal à l’homme et la naissance de l’art, Critique n° 71, avril 1953). Aujourd’hui éthologie, anthropologie, philosophie réinterrogent ce rapport culturel tumultueux, siège de dogmes innombrables, de pensées toutes faites, empire de l’anthropocentrisme. 
- Penser la nature et ses dimensions relatives impose de refonder les concepts de matière, de vie et d’humanité. Nous poursuivrons l’extraordinaire perspective de Simondon. La pluridimensionnalité de la nature correspond à son invention perpétuelle, à autant de régimes d’individuation, c’est-à-dire à autant de modes d’invention et de résolution de problématiques au sein d’une même nature. Désormais, le niveau anthropologique ne peut plus être considérée comme un régime à part dans la nature, il implique les problématiques physiques, et vitales, psychiques et collectives. Plus profondément, l’ensemble des processus d’individuation qui sont co-relatifs, dessine une image de la nature qui déloge radicalement l’anthropologie d’une centralité, ou ce qui veut dire la même chose, d’une non-participation au monde sous toutes ses formes. La question de l’unité des sciences humaines doit être reposée à nouveaux frais. Et c’est l’évolution des sciences de la nature qui incite Simondon à transposer au cœur des sciences humaines une autre approche du réel qui englobe l’anthropologie. Ce qui est réel, c’est le champ, « la réciprocité de la fonction de la totalité et la fonction de l’élément à l’intérieur du champ », comme on le voit dans la conception électromagnétique de la lumière. Tout est affaire de champ, et de constitutions de formes au sein d’un champ en interaction avec un élément. Les sciences humaines obéissent à cette même axiomatique. De même que la notion de champ a permis de réunir physique et chimie, de même les sciences humaines sont les fonctions corrélées d’un même champ. (Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, p. 533).