"Mélancolie et aliénation chez Maine de Biran"

Luís António Umbelino

Publié le 25 juin 2013 Mis à jour le 25 juin 2013
Le 4 août 1819, Maine de Biran n’écrit que quelques lignes dans son Journal. D’abord, deux mots pour résumer l’état de son âme : dégoût et abattement ; et, après, une interrogation aussi bouleversante que décisive “Jusqu’à quel point dépends-je de moi-même ?” 
Comme récit quotidien d’un équilibre difficile à maintenir, d’une recherche d’un « centre de gravité » qui échappe à sa persévérance, le Journal de Biran condense l’aventure d’une pensée qui – P. Montebello l’a bien montré – nous oblige à faire face complètement et continûment à la difficulté de penser. Biran subit constamment le manque de fermeté, l’éloignement par rapport au centre de gravité, et se heurte souvent à l’étrange fragilité de la possession de soi. C’est pourquoi chaque page de ce texte met à jour une idée : il est difficile de penser. 
Que révèle cette difficulté ? Pour Biran, d’abord, l’embarras d’une constant incapacité « d’être dans son centre », d’un constat découragement, d’une journalière « manque d’aplomb » marque la surprise de se sentir chaque jour exister sur la limite de ce qui étant humain envahit la frontière de la conscience comme trop humain. Ce n’est pas peu dire : à la limite de la disjonction des facultés, outre la ligne de l’effort, nous pressentons l’ombre d’une vie impersonnelle en nous, nous pâtissons les désignes du « fluxe perpétuel », démesuré, sauvage de la vie affective.